Dictionnaire de François Humbert

A comme Anatomie

L’anatomie fut l’une des passions de François Humbert. Dans sa jeunesse, l’approche des cadavres le contraint pourtant à une introspection personnelle : « J’avais beaucoup de répugnance dans l’idée qu’il fallait me familiariser avec les morts qui étaient toujours pour moi un objet d’effroi. »

Passé cette appréhension, une grande partie de sa carrière fut consacrée à l’anatomie. D’autant que pour lui, il s’agissait de l’une des deux sciences fondamentales, la mécanique étant l’autre, qui devaient être maîtrisées pour devenir un bon orthopédiste.

Dès les premières années de sa carrière, il plongea dans l’étude de l’anatomie. Avant qu’il eu les moyens de disséquer des cadavres, il s’employa avec des animaux : « Ne pouvant disséquer, je n’avais point d’argent pour payer des cadavres, je m’occupais à disséquer des rats, des souris, tout ce que je pouvais me procurer. » Puis il pratiqua des dissections et confectionna des « pièces anatomiques » pour son patron, Joseph Huttier. Lors de son séjour à Paris, il suivit également différents cours d’anatomie, notamment celui dispensé par G. Cuvier au Muséum national d’histoire naturelle. En qualité de prosecteur d’amphithéâtre, il enseigna à plusieurs reprises l’anatomie, tant à Grenoble, à Paris, qu’à Châlons-en-Champagne, dispensant ses enseignements à des étudiants en médecine, des artistes et des curieux.

Au cours de ses expertises, il démontra son savoir. En 1835, le docteur Bérard, professeur à la faculté de Paris, lui remit un squelette à examiner : « M. Humbert fut alors sollicité pour expliquer les méthodes qu’il comptait utiliser pour corriger la difformité que nous venions de constater. Des pièces d’un squelette humain lui furent présentées et servirent d’appui à ses démonstrations. Le résultat de cette forme d’examen, auquel nous avions appliqué les critères les plus stricts, s’avéra favorable à M. Humbert… »

Ses publications témoignent de son savoir. En 1835, il publia la toute première planche d’anatomie pathologique illustrant une luxation congénitale de la hanche. Enfin, son cabinet d’histoire naturelle à Morley abrita divers squelettes humains, mais aussi plusieurs squelettes d’animaux.

B comme Bain

Les bains ont une longue histoire d’utilisation à des fins thérapeutiques, remontant à l’Antiquité. Chez François Humbert, l’idée d’exploiter les bienfaits de l’eau à des fins médicales était une aspiration de longue date. À un moment donné, il envisagea d’ouvrir un établissement d’hydrothérapie, exploitant les ressources de la rivière voisine, la Saulx.

Pour étayer l’utilisation des bains en orthopédie, F. Humbert se basa sur les recherches du docteur T. Rapou. Dans l’ouvrage, publié en 1819, ce médecin lyonnais identifia l’efficacité des fumigations comme une méthode prometteuse pour traiter divers problèmes orthopédiques, y compris les « déviations de l’épine ». À l’époque, les approches mécaniques prévalaient pour ces cas. Cependant, Rapou soutenait que les bains de vapeur, en plus de leur rôle d’auxiliaires, avaient le potentiel de ralentir la progression des maladies chez les jeunes patients. Il affirmait que « Peu de déviations récentes résistent à l’application prolongée de la méthode fumigatoire. Même si certaines déformations de l’épine, en particulier les anciennes, ne cèdent pas entièrement, sous son influence, elles cessent de progresser. »  Essai sur l’atmidiatrique, 1819

Ainsi, l’établissement de Morley fut équipé de bains et d’installations pour les fumigations. François Humbert adapta son établissement. « Comme ma maison est voisine de la rivière, je pouvais facilement au moyen d’un conduit faire arriver l’eau dans ce réservoir. Ce projet fut expérimenté et nous avions constamment à notre disposition de cent cinquante à deux cents tonneaux, une pompe y fut établie. »  Puis un local spécifique est défini : « Le local consacré aux bains ne présente qu’une surface de 278 pieds carrés, sur une hauteur de 14 pieds divisée en deux parties, l’une de 7 pieds au niveau du sol pour les baigneuses, l’autre au-dessous où se fait le feu. »

Les bains de Morley sont prodigués tôt le matin dès 2 heures du matin, nécessitant toute une organisation logistique. Ils durent 15 minutes. « A deux heures du matin, la fille chargée du service des bains les dispose, pour que toutes les personnes de l’établissement qui en font usage puissent les trouver prêts à leur arrivée. Quand cette fille juge qu’ils sont suffisamment chauds et que la température des appartements est à un degré convenable, elle va réveiller d’autres filles de service chargées de dégager mes malades de leurs appareils, de les lever et de les conduire aux bains. Les jeunes personnes, qui arrivent à tour de rôle, sans aucune autre distinction, se baignent deux à deux séparément et dans le même local. Or, comme les bains sont de deux espèces, les émollients et les fortifiants, il y en a quatre administrés en même temps, et la durée de chaque est de quinze minutes. L’opération terminée, les baigneuses sont reconduites à leurs lits et les appareils réappliqués au même instant. Les premières sont remplacées par d’autres et ainsi de suite. »  Ce sont « des bains de vapeurs sèches, de vapeurs humides, émollientes, toniques, aromatiques, sulfureuses, des bains généraux, locaux, de température différente, des douches ascendantes, descendantes, horizontales, de vapeurs ou d’eaux chaudes ou froides, à la même heure et séparément ».

C comme Cruro-Pelvi-Mètre

François Humbert inventait des mots !

Cruropelvimètre, n. m. 1835 (F. Humbert) Emprunté à la terminologie médicale grecque à partir de « pelvi-crural », adjectif relatif au bassin et à la cuisse, et « mètre » mesure.

À une époque où les technologies médicales modernes telles que la radiographie n’existaient pas, évaluer et comparer les membres du corps humain représentait un défi considérable. Dans le contexte des luxations de la hanche, la précision de la mesure des membres inférieurs était cruciale pour établir un diagnostic précis. Traditionnellement, on utilisait des cordons et des fils pour effectuer ces mesures, mais cette méthode classique produisait souvent des résultats imprécis et suscitait des controverses.

C’est dans ce contexte que F. Humbert conçut un instrument révolutionnaire à Morley, permettant de mesurer avec une précision mathématique les altérations des membres inférieurs, à partir du bassin. Ce dispositif permettait également de comparer ces membres sous différents angles, notamment leur volume, leur position et leur forme. Cette machine était conçue pour détecter divers types de raccourcissements des membres, notamment ceux liés aux déplacements, aux inclinaisons et aux rotations du bassin.

Une caractéristique remarquable de cet instrument était sa capacité à réaliser ces mesures de manière indolore et sans fatiguer le patient. De plus, il permettait de les reproduire régulièrement, ce qui était essentiel pour suivre l’évolution des traitements mis en place.

Le patient était placé en position horizontale, tandis que le cruropelvimètre était positionné à la verticale, mesurant chaque membre de manière précise et fiable.

D comme Docteur

« Au citoyen Humbert,

 L’article de la loi du 19 Ventôse dernier que vous me citez, Citoyen, ne vous est nullement applicable. Vous êtes obligé aux preuves de quatre années d’étude, aux cinq examens, dont deux en latin et à la thèse. »  Thouret, 5 prairial an XI (23 mai 1803)

La loi de ventôse an XI (21 mars 1803) instaure en France un nouveau cadre réglementaire post-révolutionnaire pour l’exercice de la médecine. Elle doit remédier aux problèmes de fragmentation et d’absence d’unité qui prévalaient dans le domaine médical sous l’Ancien Régime. Cette législation établit des critères rigoureux basés sur les diplômes pour qualifier les professionnels de la santé. Deux catégories de médecins sont définies : les docteurs issus de l’Université et les officiers de santé, médecins de second rang, soumis à l’évaluation d’un jury médical départemental. La loi offre également la possibilité à ceux ayant suivi des études ou exercé dans le contexte révolutionnaire non structuré de prétendre au titre de docteur en fonction de leur parcours.

Deux mois après la promulgation de la loi, F. Humbert tente d’obtenir le titre de docteur en médecine en s’adressant à l’école de médecine de Paris. Cependant, la réponse sans appel de J.M. Thouret, le directeur, indique que citoyen meusien ne remplit pas les prérequis nécessaires. Il va donc rester Officier de santé, reconnu par le jury départemental meusien. Il sera reconduit dans son poste après l’attestation de deux notables de Morley qui atteste que F. Humbert exerce l’art de guérir depuis plus de trois ans.

Son fils, Nicolas Jules Humbert, obtient son doctorat en médecine à la faculté de Paris en 1830. Travaillant aux côtés de son père, cette collaboration engendre des confusions, qui perdurent encore comme le montre le nom de la rue de Morley « Docteur Humbert ».

Le titre le plus usité et pertinent est : François Humbert, médecin orthopédiste.

En tant qu’officier de santé, F. Humbert est contraint d’associer un docteur en médecine à son établissement. Le premier médecin est le docteur Champion de Bar-le-Duc, son premier soutien, suivi du docteur Jacquier, avec qui il rédige ses ouvrages. Plus tard, son fils et le docteur Lefevre de Montiers-sur-Saulx se joignent à cette collaboration.

E comme Etablissement

Le premier établissement orthopédique fondé en France est celui de Morley. Dans son traité sur les luxations, François Humbert donne la date de 1817. En Europe, le premier établissement de ce genre semble être celui fondé à Orbe, en Suisse, en 1780 par Jean-André Venel (1740-1790). En Allemagne, l’établissement de J.G. Heine est établi à Würtbourg en 1816, marquant l’invention des premiers lits mécaniques médicaux.

Le deuxième établissement orthopédique français a été établi à Paris en 1821, à la suite du vol des plans du lit de Würzburg. En effet, l’un des frères Milly, ayant été soigné chez Heine, a adopté les principes allemands et les a mis en œuvre dans un établissement qu’il a créé à Chaillot. Par la suite, l’entreprise a été reprise par le docteur Bouvier. L’établissement de Passy, créé par les docteurs Pravaz et Guérin, s’est installé dans le château de la Muette.

Par la suite, plusieurs établissements voient le jour en France, disséminés dans les principales villes du royaume. François Humbert participe notamment à l’ouverture de celui de Lyon, en soutenant son ami Joseph Chaley. Puis Pravaz ouvre son célèbre établissement lyonnais. On peut aussi citer celui ouvert dans le château de Bois Préau à Oulins par le docteur Jal.

À la fin du XVIIIe siècle, certaines pensions destinées aux jeunes filles, placées sous la supervision d’un médecin, commencent à accueillir des jeunes filles malades. On observe une rapide généralisation en leur sein, des lits mécaniques. Cette « frénésie orthopédique » est dénoncée par des chroniqueurs de l’époque, tels que le docteur Claude Lachaisse dans son traité sur les courbures vertébrales (1827), soulignant comment certaines « institutrices transformèrent leur pensionnat en véritable infirmerie ».

Ces établissements, souvent situés dans des lieux bucoliques voire prestigieux, comme le château de la Muette, privilégient le confort voire le luxe pour attirer une clientèle aisée. Malgré son apparence relativement simple, l’établissement Morley comporte deux jardins, des promenades, un théâtre, une salle de bal, une bibliothèque, un billard…

Plusieurs aspects distinguent l’établissement de Morley de ses concurrents. L’absence d’aumônier confirme probablement l’athéisme de Humbert, lui permettant de laisser le libre arbitre à ses pensionnaires quant à leur pratique religieuse. Cette situation pourrait expliquer la présence importante de patientes protestantes. De plus, l’absence d’instituteur lié à l’établissement montre la volonté de F. Humbert de laisser les familles s’organiser elles-mêmes sur l’éducation de leurs enfants. Morley semble plus à une pension de familles o des soins sont prodigués. Par exemple, les familles doivent elles-mêmes si elles le désirent faire l’acquisition d’un piano et le mettre dans leur « chambre ».  Enfin, F. Humbert n’adopte pas la gymnastique comme méthode de soin, ce qui se traduit par l’absence de salles d’activité physique, bien qu’il crée parfois des instruments pour des pratiques sportives.

Une famille d’hommes de loi

Côté paternel :  le père de François est licencié en droit, il descend d’une lignée d’homme de loi. Les aïeuls Edme (1600-1680) & Jean Humbert (1631-1718), Jean (1631-1718) sont procureurs à Brauvilliers. Louis Joseph (1693-1774), l’arrière-grand-père est greffier attaché au maréchal de Broglie, avocat à la Cour. Jean-Baptiste (1716-1789), le grand-père est avocat, bailli, juge, garde et prévôt.  Les épouses et les filles de ces aïeuls évoluent dans la même sphère. L’épouse de Louis  Joseph Humbert est une fille de notaire et celle de Jean-Baptiste est une fille d’avocat. De même, les deux grandes tantes paternelles de François épousent un notaire et un procureur.

Côté maternel : C’est donc logiquement que le père de François épouse une fille d’homme de loi. Pome Delaval est la fille de Jean Delaval, procureur au conseil supérieur et sièges royaux de la ville de Châlons-en-Champagne. Et son frère est avocat à Paris.

Une famille conflictuelle

Les parents de François se séparent quelques années après leur mariage. Le père qui fut procureur au conseil supérieur auprès de son beau-père, quitte son poste pour se lancer dans le commerce du bois. François attribue l’échec final de cette initiative aux « chicaneries » menées par les Delaval contre le jeune époux. Ce dernier repart d’ailleurs vivre en Meuse.

François, seul fils survivant de la fratrie se sent mal aimé, voire persécuté par sa famille maternelle, où il est élevé. L’arrivée dans la famille de Joseph Huttier, son unique beau-frère, fut aussi source de conflit permanent, qui atteint son paroxysme lorsque François alla chercher son fusil pour lui tirer dessus. « Je sortis de la salle à manger, transporté de colère pour me rendre dans la chambre et chargeai mon fusil pour tirer sur lui. » De même, pendant son séjour à Paris, les rapports entre le jeune François et son oncle paternel, célibataire, deviennent si tendus qu’ils cessent de se voir, laissant le jeune étudiant dans la misère.

Le retour en Meuse de sa sœur, le mariage de son neveu, chirurgien, avec une demoiselle de Commercy ne rapprocha pas l’orthopédiste de cette branche familiale.

Les Humbert de Fleury

François épouse, en 1802, sa cousine germaine paternelle : Jeanne de Fleury. Le de Fleury sont une famille noble du barrois. Installée à Morley, cette famille va fixer François Humbert sur les rives de la Saulx, lui donnant une fortune terrienne. Nicolas Jules Humbert naît à Morley en 1803. Tous les espoirs reposent sur ce fils unique. Il est reçu docteur en médecine en 1830 et épouse en 1834 Mathilde Bourgeois de Ménil. Sa mort en 1844, sans postérité marque la fin de l’épopée orthopédique de Morley.