Chirurgien des Armées

Le contexte

La Révolution poursuit sa marche et Louis XVI est contraint, le 20 avril 1792, de proposer à l’Assemblée législative de déclarer la guerre à l’Autriche. De cette déclaration de guerre à la chute de l’Empire en 1815, des conflits armés sont menés de manière presque continue. De nombreux nobles, cadres militaires ayant déjà émigré, les effectifs réduits des troupes, la fin du régime monarchique… expliquent les premières défaites subies par l’armée française. En juillet 1792, l’assemblée proclame que « la patrie est en danger ». L’insurrection du 10 août provoque la chute de Louis XVI.

Avec la Révolution, les principes d’égalité et de citoyenneté sont mis en œuvre également dans les fondements de l’armée. Si les levées des bataillons de volontaires de 1791 et début 1792 sont importantes, dès l’été 1792, les effectifs attendus ne sont pas atteints. Alors que la France se prépare à entrer en guerre contre le reste de l’Europe, la Convention lance en 1793, plusieurs opérations pour recruter des hommes dans chaque département. Le 23 août 1793, le Comité de salut public réquisitionne les populations, dont les jeunes garçons célibataires, de dix-huit à vingt-cinq ans, pour former l’armée de l’an II. Dans ce contexte, madame Humbert craignant de voir son jeune fils, alors âgé de 17 ans, enrôlé dans l’armée, cherche à le soustraire à la conscription. La solution vient par Joseph Huttier, parent de madame Humbert, qui fréquente ses salons. Il est alors chirurgien en chef de l’hôpital militaire ambulant de Châlons-en-Champagne.

J. Huttier soutient à Paris, le 20 octobre 1789, sous la présidence d’Abraham Auvity, chirurgien pédiatre, sa « Dissertatio anatomico-chirurgica : De peculiari aphtarum specie, gallice millet, muguet, blanchet, in recens natis ».

La profession médicale comprend sous l’Ancien Régime plusieurs groupes distincts, avec des cursus d’enseignements spécifiques. Les médecins sont issus de l’université, les chirurgiens et les apothicaires suivent un apprentissage et entrent dans une corporation. La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) unifie la profession médicale. Formé sous l’Ancien Régime, J. Hutter est le dernier « Maistre de l’art et science de chirurgie » à être reçu au « regiis chirurgorum scholis » de Paris.

Il s’engage auprès de madame Humbert à prendre, comme surnuméraire, le jeune adolescent, lui assurant que son fils serait reçu rapidement comme chirurgien attaché aux hôpitaux militaires. Les différentes guerres menées obligent la nation à organiser à la fois de nouveaux hôpitaux militaires sédentaires et ambulants. Les besoins en médecins et chirurgiens sont importants, de 1 400 en 1792, à près de 10000 en 1794 ; le pouvoir est prêt à enrôler de nombreux jeunes inexpérimentés. P.-F. Percy, chirurgien en chef des armées les surnommera les « chirurgiens de pacotille ». Les officiers de santé militaires sont de trois catégories : les médecins, les chirurgiens et les pharmaciens. La plupart ne sont pas des militaires de carrière, mais des hommes commissionnés sur une période donnée, révocables, tout en obéissant à la hiérarchie militaire. Pour les chirurgiens, il existe trois grades : ceux de 1re, 2e et 3e classe.

François Humbert, chirurgien des Armées

Cette décision prise pour éloigner son fils des premières lignes des champs de bataille n’est pas celle du jeune homme. « J’avais beaucoup de répugnance dans l’idée qu’il fallait me familiariser avec les morts qui étaient toujours pour moi un objet d’effroi. Pressé par ma mère, habitué d’obéir, je me rendis à l’hôpital militaire, aux ordres de monsieur Huttier, chirurgien en chef, homme de talent, extrêmement vif, emporté, coléreux, même despote. »

Attaché directement au service du chirurgien, le jeune Humbert devient son homme de main, son ordonnance, l’aidant à la fois dans les taches personnelles, mais aussi comme aide dans sa pratique médicale quotidienne. Il est dans un premier temps attaché à la préparation des pansements destinés aux blessés.

L’instruction médicale du jeune Humbert se fait donc en suivant les visites du chirurgien, matin et soir, mais aussi en discutant avec les chirurgiens de 2e classe présents. Il suit surtout les cours dispensés au sein de l’hôpital.

J.-B. Paroisse, médecin militaire, témoigne de ces cours dispensés dans les hôpitaux militaires. « Je fus en charge en l’an III d’accompagner un confrère pour visiter les hôpitaux militaires de l’Intérieur. Je vis dans cette tournée, à Châlons-sur-Marne, M. Huttier, membre de l’académie de chirurgie de Paris. Ce chirurgien distingué était à la tête de l’hôpital militaire de cette place, où il faisait des cours d’anatomie, d’opération et de chirurgie. » Ces cours sont aussi annoncés dans le Journal de la Société Populaire de Châlons-sur-Marne du 5 messidor an III (26 juin 1795).

En parallèle à son activité militaire, J. Huttier s’est également constitué une clientèle civile, que F. Humbert suit. « Un an s’écoula, en suivant mes cours d’anatomie et de chirurgien faisant le service de l’hôpital, voyant les malades en ville de mon beau-frère, préparant les leçons d’anatomie et disséquant des parties d’anatomie pour les conserver. »

Ainsi, à la fin de l’année 1793, le Commissaire des guerres Lenain signe la nomination de F. Humbert comme chirurgien 3e Classe. Mais un arrêté de l’an IV (1796) licencie tous les chirurgiens militaires, non nommés directement par le ministre. Sans emploi, F. Humbert devenu le beau-frère de J. Huttier reste à son service pour s’occuper de sa clientèle civile et pour l’aider dans la préparation des cours d’anatomie. A l’automne 1797, suite à une discorde au sujet d’achat de nitrates d’argent, où J. Huttier accuse F. Humbert de vol, le jeune homme âgé de 20 ans décide de quitter son maître.

Le certificat écrit par J. Huttier résume les premières années passées, tant au service de l’armée qu’à son service personnel : « Nous, soussignés officiers de santé en chef de l’hôpital militaire ambulant de Châlons-sur-Marne, certifions que le citoyen François Humbert, âgé de 20 ans, natif de ladite commune, officier de santé de troisième classe, a étudié la médecine sous nos auspices, l’espace de trois années et demie, consécutivement, pendant tout ce temps il a suivi les cours d’anatomie, physiologique, de pathologie externe, de médecine opératoire et de chirurgie clinique. Il a disséqué toutes les différentes parties de l’anatomie et a été exercé à la pratique des opérations et à l’application des appareils ; en outre, pendant tous ce laps de temps, il n’a cessé de suivre ledit hôpital, de s’y rendre si utile il a fait le service de chirurgie de 3e classe pendant huit mois, sans un instant de paresse et où la plupart de ses camarades étaient malades et sans aucune rétribution, avec le plus grand désintéressement. Il a été ensuite appointé pendant dix-sept mois, en vertu d’une commission du commissaire Lenain. Durant ces deux années passées au service, il a accompli ses devoirs avec exactitude ayant été compris dans le licenciement général du 24 messidor de l’an 4, ensuite il a été choisi pour prosecteur du Citoyen Huttier, nouvelle fonction qu’il a remplie avec dextérité. Nous devons des éloges au zèle et à l’application avec lesquelles le citoyen Humbert a rempli ses fonctions, nous lui avons toujours reconnu beaucoup d’aptitude et nous ne doutons pas qu’il fasse un jour un sujet distingué, s’il trouve les occasions de continuer son instruction et d’acquérir toutes les connaissances relatives à son art, en foi de quoi nous lui avons donné le présent pour lui servir et valoir, à Châlons, ce quatorze nivôse, an cinq de la République française. »

Huttier et Chamorin »


AD55, 8J19, Certificat de J. Huttier et Chamorin, daté 14 nivôse an V

Sources et crédits photographiques

Mémoires de F. Humbert, AD55, 8J18

Certificat de J. Huttier et Chamorin, daté 14 nivôse an V, AD55, 8J19

Dissertation anatomico-chirurgica, J. Huttier, 1789, BIU Santé Paris

Louis Devouges, portrait de J. Huttier, (Détail), 1806, collection privée