Officier de santé à Morley
Agé de 26 ans, il se fixe en épousant en 1802, sa cousine germaine, Jeanne de Fleury, à Morley, petit village de près de 450 habitants, situé au bord de la rivière, la Saulx. Dès son arrivée en Meuse, il exerce les fonctions de médecin de campagne. De nombreux médecins de campagne, issus des armées ou simplement ayant passé par les écoles de santé créées en l’an III, souvent de manière épisodique, s’installent. Il faut noter aussi la présence de nombreuses personnes exerçant la médecine, sans titre, ni instruction, proche du charlatanisme.
La loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) réorganise les professions médicales, pour s’assurer que les personnes exerçant la médecine possèdent au minimum les quelques savoirs médicaux indispensables.
Dans ce contexte, F. Humbert adresse une requête à l’école de santé de Paris pour faire valoir son cursus et solliciter le titre de docteur en médecine. Le 5 prairial an XI (25 mai 1803), M.-A. Thouret, directeur de l’école lui répond : « L’article de la loi du 19 ventôse dernier que vous me citez, Citoyen, ne vous est nullement applicable. Vous êtes obligé aux preuves de quatre années d’études, aux cinq examens, dont deux en latin et à la thèse. Lorsque vous aurez dessein de vous faire recevoir d’après ces formalités, vous remettrez au bureau de l’école votre pétition et toutes les pièces à l’appui.»
F. Humbert, ne correspondant aux exigences demandées par l’école, renonce à l’obtention de ce titre. Mais la nouvelle loi institue également à un nouveau corps de médecins reconnus : les officiers de santé. Devant justifier d’années d’études, même non validées ou d’une pratique médicale, les candidats se présentent devant un jury départemental, constitué pour l’occasion par un professeur d’une école de médecine et de deux autres docteurs reconnus du département. Aussi les officiers de santé admis ne peuvent exercer que dans leur territoire d’examen et ne peuvent pratiquer des opérations complexes que sous la surveillance d’un docteur en médecine.
Grâce aux certificats délivrés par la commune de Morley, prouvant « sa pratique de l’art de guérir », le préfet du département de la Meuse reconnaît le 11 ventôse an XII (2 mars 1804) François Humbert comme officier de santé.
Il est inscrit sur la liste des professionnels de santé du département. Il est confirmé dans son statut par le jury médical de la Meuse d’avril 1806.
Il mène alors la vie d’un officier de santé, comme Charles Bovary, soignant des patients résidants dans les environs du village, circulant « par monts et par vaux », selon l’expression de J. Léonard, répondant aux besoins de ses patients ; les horaires, les usages n’étant pas stabilisés dans les campagnes . La liste qu’il établit, en 1805, des soins qu’il prodigue, donne un aperçu de leur variété, tout en réaffirmant la place qu’occupe l’anatomie dans son savoir. « Fistules … tumeurs fémorales… cancer à la mamelle… polypes carcinomateux… Vous parlerai-je du succès que j’ai eu dans le traitement des maladies des yeux, des fractures, des luxations, des hémorragies nasales, en un mot de toutes les opérations journalières qui se pratiquent dans les campagnes ! Non, car je craindrais de vous ennuyer par des détails ennuyeux et longs. Ce que je veux vous dire, c’est que l’anatomie a été la base fondamentale de mes études et la connaissance la plus essentielle pour la chirurgie. »
Chirurgien en chef à Joinville
Le 5 Prairial an XIII (25 mai 1805), la commission de l’hospice de Joinville (Haute-Marne) recrute un nouveau chirurgien en chef. Parmi les candidatures reçues, elle retient celle de F. Humbert, lui permettant – Morley étant situé à une vingtaine de kilomètres – de ne pas être présent quotidiennement. Il arrive à Joinville, le 22 prairial an XIII (12 juin 1805). Examinant le fonctionnement de l’hôpital, il relève de nombreux manquements, tant matériels qu’organisationnels. Il formule un certain nombre de recommandations qu’il édicte dans un règlement intérieur en 7 points.
« Article 1 : La grande salle d’opération est convertie. F. Humbert est autorisé à y pratiquer des cours d’anatomie et de chirurgie.
Article 2 : La Mère supérieure doit organiser les linges à usage des blessés et doit les donner sur demande des officiers de santé.
Article 3 : Création d’un brancard et d’un lit pour les blessés ayant des fractures.
Articles 4 : Les cadavres ne resteront plus dans les salles, ils seront transportés dans la salle des médecins. Ils ne resteront pas plus d’une heure, en attente dans le vestibule d’entrée, le jour de leurs funérailles. Il y aura aussi des bières de différentes tailles en réserve.
Article 5 : Les médicaments et les régimes prescrits, seront écrits dans un cahier pour permettre leur fabrication et leur distribution.
Article 6 : La Mère supérieure nommera parmi les domestiques mâles, un infirmier qui assistera les médecins.
Article 7 : La pharmacie de l’hospice sera vérifiée par un pharmacien externe pour éliminer les produits de mauvaise qualité et se procurer les produits nécessaires. Cette visite sera faite tous les trois mois ».
Retour à Morley
Conscient que « l’art de guérir fait tous les jours de nouvelles découvertes utiles à l’humanité », il propose aux autorités de créer des cours d’anatomie et d’accouchement. Le préfet donne rapidement son accord. Mais seulement quelques mois après sa nomination, F. Humbert, prétextant la mort de son beau-père qui lui laisse un train de maison lui assurant une existence honnête, annonce sa démission. Cependant, c’est principalement son conflit avec les religieuses à nouveau présentes dans l’hospice depuis quelques années qui provoque son départ. Leurs divergences se situent dans la prise en charge médicale, F. Humbert trouvant les soins qu’elles prodiguent archaïque, l’obligeant à « suivre la chirurgie des premiers temps où elle n’était pas éclairée par le flambeau de l’anatomie, suivre en un mot la volonté des personnes qui ne savent pas ce que c’est qu’un malade, ni un médicament et être une vraie machine. » Ces conflits étaient déjà particulièrement courants à la fin de l’ancien Régime. Mais c’est aussi la conception même de la relation soignant-soigné qui les sépare. « C’est alors que je commençais à voir le peu d’humanité qu’il y avait dans cette maison et le but principal était d’amasser, d’économiser et de se soucier fort peu que les malades soient bien ou mal, ayant perdu de vue le but des fondateurs de cette maison. Voilà le commencement des troubles, voilà que je commençais à pénétrer dans la dureté et l’insensibilité de femmes qui sont, par état au service des malheureux et qui ont abandonné les belles qualités de leur sexe, se faisant gloire d’être inflexibles à tout ce qui peut toucher les âmes sensibles et en imitant les déesses sévères.»
De retour à Morley, il reprend à temps plein ses occupations d’officier de santé, soignant les habitants des villages du canton. Il est aussi régulièrement réquisitionné par les autorités pour assurer des activités de « santé publique ».
Médecin cantonal de vaccination
Bien que les travaux d’E. Jenner sur la vaccine soient publiés en 1798, la vaccination contre la variole entre en France par l’intermédiaire du duc de La Rochefoucault-Liancourt, à partir de ventôse an VIII (mars 1800). De nombreuses oppositions se lèvent, les caricatures fleurissent, l’origine animale de la vaccine est largement décriée. Napoléon Ier s’engage directement, en faisant vacciner publiquement le 11 mai 1811, son fils, le roi de Rome. Mais plusieurs années après, le taux de couverture vaccinale n’est pas au rendez-vous.
Le docteur Valentin de Nancy alerte sur le manque d’ »universalisation » du vaccin. La création d’un comité central de vaccine et des comités départementaux montre la volonté politique de la propagation de la vaccination. Le ministère de l’Intérieur ordonne la mise en place de médecins dédiés à cette mission par arrondissement. Dès 1803, le département de la Meuse « place la vaccine au nombre des causes les plus propres à augmenter la population.» Par arrêté, F. Humbert est nommé le 1er décembre 1812 par le sous-préfet de la Meuse, arrondissement de Bar-le-Duc, pour « propager dans son département, comme dans presque tous les autres, la méthode salutaire de l’inoculation de la vaccine, que vous ferez tout pour triompher des préjugés, s’il en existe encore dans le canton qui vous est désigné. De mon côté, j’attache le plus grand intérêt à ce que le fléau de la petite vérole disparaisse de mon arrondissement. »
La défaite française de la « bataille des Nations » près de Leipzig, en octobre 1813, marque le début de l’écroulement de l’Empire. La retraite de la Grande Armée se précipite et les troupes se replient sur le territoire français, subissant également les attaques d’épidémies comme le typhus. L’arrivée, dans l’Est de la France, des soldats évacués inquiète les autorités notamment face aux risques de contagion. Comme officier de santé, François Humbert prodigue des soins aux militaires stationnés dans les villages environnants. Son zèle est reconnu par les autorités départementales et face à l’afflux de soldats malades, il est réquisitionné le 10 décembre 1813, par le préfet pour se rendre à la succursale de l’hospice de Bar-le-Duc, située à Fains. Puis à la fin du mois, le sous-préfet lui demande le 28 décembre 1813, « un rapport qui contiendra vos observations sur les principes de la maladie, sur ses causes et ses effets, enfin sur les moyens curatifs que vous avez employés et les résultats que vous avez obtenus » pour surveiller, lutter et traiter « les maladies contagieuses qui ont pu ou pourraient se manifester parmi les habitants ».
Il poursuit ainsi son activité de médecin de campagne, mais qui ne semble pas satisfaire son esprit curieux et créatif.
Sources et crédits photographiques
Lettre de M.-A. Thouret du 25 avril 1803, AD55, 8J19
Liste générale des docteurs en médecine et en chirurgie, Chirurgiens, Officiers de Santé, 1820, AD55, 262M2
Jury de médecine de la Meuse, 1806, AD55, 262M2
Liste des opérations pratiquées par F. Humbert pour candidater au poste de chirurgien à l’hospice de Joinville, 1805, AD55
Liste générale des médecins… du département de la Meuse, 1821, AD55
Lettre de l’hospice de Joinville annonçant la nomination de F. Humbert, 1805, AD55
Lettre du sous-Préfet, nomination médecin cantonal de vaccination, AD55 8J19
Règlement de l’hospice de Joinville, 5 septembre 1805, AD55, 8J19
Lettre de démission de F. Humbert, adressée à l’hospice de Joinville, 1805, AD55, 8J19
Lettre de nomination, sous-préfecture de la Meuse, 1812, AD55, 8J19
Lettre du sous-préfet de la Meuse demandant à F. Humbert de se rendre à Fains, décembre 1813, AD55, 8J19
Lettre du préfet de la Meuse demandant un rapport sur les maladies, à F. Humbert, décembre 1813, AD55, 8J19