Les croix et calvaires du village

La sacralisation de l’espace rural

Le début du XIXe siècle est marqué par un retour en force de la religion en France. La signature du Concordat de 1801, officialisant la religion catholique, et le retour des Bourbons sur le trône en 1815 contribuent à cette résurgence du sentiment religieux. François Humbert en fera les frais puisqu’il sera accusé de blasphème, un crime puni par la loi à l’époque.

Les croix : symbole de la foi retrouvée

C’est dans ce contexte que l’on assiste à la remise en place des croix de village, souvent abattues durant la Révolution française. Ces croix, relevées ou nouvellement érigées, témoignent de la ferveur populaire retrouvée et de l’affirmation de l’identité catholique des villages. La tradition se limite aujourd’hui, avec l’érection de croix commémorant parfois des événements tragiques.

Morley : sur les traces des croix du village

Le village de Morley ne fait pas exception à ce phénomène. Nous vous invitons à partir à la découverte des croix qui jalonnent son territoire, qu’elles se dressent fièrement aux carrefours, se cachent au cœur de la forêt ou ornent des lieux emblématiques.

Des croix dans des cimetières, c’est assez banal. Mais le cimetière de Morley possède aussi une croix de chemin, implantée en 1820 par la famille Lombard. C’est une croix qui appelle aux devoirs du croyant, à la prière et rappelle au chrétien ses devoirs. Son salut passe par le Christ dans sa mort et sa Résurrection. « O crux ave spes unica » ; ici, le texte est en français.

Sa décoration est traditionnelle : le Christ en croix ; IHS « Iesus Hominum Salvator » et les trois clous, des larmes ou des gouttes de sang, fleur…

C’est la famille Lombard, Claude, Louis et XXX, trois frères, qui érigent cette croix. Installés à la ferme de Froillet depuis de XVIIIe siècle – Jean Lombard y est fermier en 1683 – ils conservent cette dépendance de l’abbaye d’Ecurey après la Révolution. Cette ferme, située au milieu des bois de Morley fut donnée à l’abbaye en 1188 par Simon de Sarrebruck, Seigneur de Commercy pour l’essarter (défricher), y faire des briques et y tenir forge.

La croix se situe sur le chemin entre la ferme et le village de Morley. Le texte inscrit : Je vous salue / ô  croix / mon unique espérance / croix érigée l’année / 1820 / par la piété / de Claude et Louis / Lombards  xxx / Lombard

Dans les ruelles de Morley, derrière l’église, se trouve la porte dite de Madame Humbert. Cette petite porte dessert la propriété Humbert et permet d’arriver directement à l’église, en face de la porte latérale du bâtiment religieux. Elle est ainsi nommée car elle servait à Madame Humbert, la belle-fille de l’orthopédiste, pour se rendre directement aux offices.

Une croix orne cette petite porte. Elle est assez travaillée, ornée d’un côté par un Christ en croix où l’on devine une inscription qui semble évoquer l’espérance : « spes ». Sur l’autre face, un personnage qui semble avoir été mutilé tient un livre et un possible rameau. Le quadrillage ou treillis, constitué de petites formes géométriques régulières losangiques qui se répètent de manière uniforme, ainsi que les points situés en leur centre, créent un motif encore plus complexe et détaillé.

On ne connaît pas l’origine de cette croix. Provient-elle de l’ancien cimetière de Morley, de l’ancienne église, ou d’une ancienne croix de chemin ?

Aujourd’hui la croix a été restaurée et replacée au-dessous de la porte de Madame Humbert.

La croix de la Bardoline

Lorsque vous arrivez à Morley depuis Ecurey, la première chose que vous voyez est la croix de la Bardoline. Juste devant l’ancienne enceinte de parc d’agrément de F. Humbert et la Saulx avec les façades de l’établissement qui se reflète.

La croix de la Bardoline est dans la lignée des croix d’espérance. Le texte ne trompe pas :

Je vous salue / ô croix / mon unique espérance / croix érigée l’en 1821 par / la piété de Sébastien Colin / propriétaire à Morley et / en mémoire de feu Marguerite / Pierson, épouse décédée /X2 juillet 1817 Christophe / Colin époux d’Hélène Lombard / Marie Colin épouse de / Gaspard Parisot

Sébastien Colin est le père de Marie et Christophe. L’épouse de Christophe est la fille de Claude Lombard de la ferme de Froillet. Cette croix est donc un don de la même famille que celle du cimetière, érigée un an après.

Pourtant, il y a une erreur inexpliquée sur cette croix ! L’épouse de Sébastien est bien décédée en juillet 1817, mais elle se nomme Marguerite Barbier et non pas Pierson, comme indiquée dans la pierre… Christophe Colin sera maire du village en 1834. Son peau père, Claude Lombard le fut également en 1813 et en 1816.  

L’iconographie confirme son objectif, la croix rappelle aux passants que le Christ est le sauveur de l’Humanité, dans lequel il faut mettre son espérance : un Christ en croix et au dos, un cœur avec le monogramme « IHS ». Le fut du calvaire a quelques croix gravées et un S (pour Spes ?), mais qui ces signes semblent plus s’apparenter à des graffitis.

La croix des aviateurs

Une dépêche du journal du Monde, datée du 9 janvier 1965 : « Un avion d’entraînement à réaction T-33 de l’armée de l’air s’est écrasé vendredi matin dans la forêt de Morley, près de Bar-le-Duc (Meuse). Les deux occupants – le commandant Jean Aucher, commandant en second la 13e escadre de chasse basée à Colmar, et le capitaine Jean-Victor Gignoux – ont été tués. Une avarie de réacteur serait à l’origine de l’accident. »

Cette croix fut bénie le 10 octobre 1965, en présence d’une assistance assez nombreuse. La croix a été taillée dans un arbre étêté par l’accident. Puis le 18 juin 1966, la plaque commémorative fut placée en présence d’une soixantaine d’officier supérieurs. Un poème commémoratif fut écrit par une certaine demoiselle Guillemin.

Comme souvent ce type d’événement tragique est aussi à l’origine de croix érigée à l’emplacement du drame. Enfoncez vous dans la forêt de Morley pour retrouver la croix  des aviateurs avant que le temps la fasse totalement disparaitre : le chemin est quasi inexistant, la plaque est tombée, le banc n’existe plus…

La croix archaïque

Restons dans la forêt pour explorer cette nouvelle croix, discrètement nichée au cœur des bois.

Sa forme massive, contrastant avec sa taille modeste, intrigue. Il ne s’agit pas d’un calvaire traditionnel comme ceux que l’on trouve dans la commune. Son travail sommital, divisé en quatre parties, évoquerait plutôt une borne de chemin. Pourrait-elle aussi marquer un événement funeste ? Certains villageois émettent l’hypothèse d’un monument commémorant le décès d’un travailleur des carrières voisines.

L’inscription, bien que présente, reste indéchiffrable à nos yeux. Elle n’est pas effacée, mais les caractères semblent énigmatiques, comme si le texte était écrit de manière spéculaire. Mais même à l’aide d’un miroir, nous n’avons pu percer son mystère. Les deux lignes droites inscrites au dos sont aussi énigmatiques.

Cette croix n’apparaît pas dans les cadastres du début du XIXe siècle, mais il faut noter que de nombreuses croix du village sont absentes de ces documents. Le père Laprune, dans ses travaux historiques, ne mentionne pas non plus sa présence.

Ces éléments renforcent le caractère énigmatique de cette croix et suscitent de nombreuses questions : Quelle est l’origine de cette pierre ? Quel message voulait-on transmettre à travers cette inscription ? A quelle date ?

Poursuivons notre balade dominicale à travers champs et découvrons une croix de chemin, simple et rustique. Elle se dresse à l’intersection de deux chemins vicinaux : le chemin du Pont d’Aworrë (ou Awoué ou Arroué) et le chemin dit vieux chemin de Ligny (ou encore de Morley à Villers-le-Sec).

Érigée sur un socle de pierre, cette croix semble d’une époque récente. Son grand crucifix en bois contraste avec la petite statue du Christ en croix, qui paraît en aluminium. Portant nous la retrouvons mentionnée sur le cadastre napoléonien (1844). C’est la Croix Gilson ! elle doit être assez ancienne pour avoir donné son nom aux champs qui la jouxte : « à la Croix Gilson » « Sous la Croix Gilson »…

Quand fut-elle restaurée ? Quelle était la croix d’origine ? Était-ce une croix d’espérance offerte par un certain Gilson ? Ce patronyme semble courant dans certaines parties du département. Et que signifie Awoué ?

La croix du Sacré-Coeur

Le cadastre de 1844 révèle la présence d’une autre croix à Morley, située sur l’actuelle rue de Montiers. Or, cette croix a disparu de cet emplacement. Mais aujourd’hui, à quelques dizaines de mètres de là, sur la rue du Moulin, nous découvrons une magnifique croix, qui pourrait bien être celle que nous cherchons.

L’inscription gravée, « Je vous salue / O Croix / mon unique / espérance », est dans le même registre que les calvaires d’espérance du village.

Par contre, cette croix se distingue par son élégance : son fût cylindrique, orné de cannelures, et son chapiteau de style corinthien simple, agrémenté de volutes, en font une pièce unique du village. Au verso, un cœur flamboyant, symbole du Sacré-Cœur du Christ, vient renforcer cette impression.

L’absence de nom de donateur sur cette croix particulièrement travaillée interroge. Est-ce la paroisse ? Le cœur flamboyant, symbole fort du catholicisme, fut aussi utilisé pour montrer son opposition aux idées révolutionnaires…

La croix du Vendéen

Drôle de nom pour cette croix située à la sortie de Morley, sur la route des Eviaux. Cette croix, assez massive et simple, est en effet construite à partir d’une pierre tombale d’un Vendéen décédé à Morley en 1826. Lors du transfert du cimetière, la pierre fut réutilisée pour ériger cette croix. L’inscription, aujourd’hui peu lisible, le confirme, selon la retranscription du père Laprune : « Ci-gît / Pierre Marie René THOMAS / Né le 23 décembre 1769 à Auzay, dép. de la Vendée / Il avait son domicile à Fontenay-le-Comte, même département / Il est décédé en voyage / À Morley, le 8 juin 1826 ».

Pierre Marie René Thomas d’Enfer du Clouzy était un militaire, capitaine de la 6e compagnie des volontaires nationaux en décembre 1791. On le trouve en garnison à Avesnes, Landrecies, Le Quesnoy, Bruxelles. Il est décédé dans la maison de François Humbert, puis enterré à Morley.